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A quoi vous fait penser le mot Ushuaia ? Pour certains, cela évoque une marque de shampoing, pour d’autres une ancienne émission de télévision animée par Nicolas Hulot, ou pour d’autres encore et je l’espère, une terre égarée aux confins de notre civilisation.
C’est de cette dernière notion que l’on va aborder dans cet article.
En effet, Ushuaia est considérée comme la ville la plus australe du
monde. Ce qui n’est, en fait, pas tout à fait exact, car une pseudo ville côté Chili, Puerto Williams, se trouve encore plus au Sud mais ressemble plus à un gros bourg. En tout cas, surnommée par les argentins ‘el fin del mundo’ ( le bout du monde ‘), Ushuaia fascine les voyageurs en quête d’aventure.
L’arrivée à l’aéroport est glaciale au sens littéral du terme. Après les grosses chaleurs de Buenos Aires, on ne s’attendait pas à supporter des températures oscillant entre 2 et 8 degrés pour un plein été austral. D’après les habitants d’Ushuaia, le climat actuel n’entre pas dans les normes. Habituellement, il fait 15 degrés en
moyenne à cette période. Du coup, on a rapidement sorti les polaires en multipliant les couches.
Cependant, le temps est très changeant à Ushuaia. Il peut faire limite chaud avec un beau soleil, et cinq minutes plus tard, extrêmement froid avec une pluie ou un vent glacial qui perfore les vêtements. D’ailleurs, les locaux aiment dire qu’ici, il peut y avoir les quatre saisons en une seule journée.
En tout cas, de l'aéroport, le froid ne nous empêche pas d’admirer le cadre dans lequel se situe la ville, une sorte de cirque entourée de montagnes aux sommets enneigés en bord de mer.
Par contre, en s’approchant du centre, l’impression d’arriver au bout du monde s’estompe légèrement avec le nombre incroyable de touristes ainsi que toutes les infrastructures et l’organisation déployée pour les accueillir dans des conditions confortables.
La ville en elle-même ne présente que peu d'intérêts même si un certain charme opére au final rapidement. Ses maisons aux toits de tôle ondulée et aux façades peintes de différentes couleurs arbore un air scandinave.
Pour quelles raisons tant de touristes y font le déplacement? Une infime partie s’y rendent afin d’embarquer dans un bateau à destination de l’antarctique, d’autres pour le mythe de se trouver au bout du monde, mais une bonne majorité pour profiter des
incroyables paysages de la terre de feu.
Cet archipel battu par les vents, séparé du continent par le détroit de Magellan, se compose d’une grande île argentino-chilienne, l’Isla Grande de Tierra del Fuego, de l’île chilienne de Navarino et d'innombrables îlots inhabités. Ici, la nature règne en maître, entre steppes désolées, forêts de lengas ( ou également appelé en français ‘hêtre de la terre de feu’), lacs émeraudes et
sommets enneigés.
Notre découverte de cette sublime région débute par le glacier Martial tout proche du centre ville. Le début du parcours emprunte un chemin de terre large et pentu, bordé de forêts de lengas ainsi que d’un joli creek, et servant de piste de ski en hiver. Une fois arrivés à un mirador offrant une vue panoramique sur les magnifiques pics d’un côté et la mer en contrebas de l’autre, un étroit sentier encore plus abrupte conduit jusqu'au glacier. Ici, les arbres laissent place à une végétation basse
composée de différentes variétés de mousses. Alors que les autres randonneurs ne semblaient guère y prêter attention, je m’extasiais devant les formes graphiques de cette surprenante flore. L’arrivée au pied du bloc de glace est magique. Le glacier en soi n’est pas très impressionnant puisqu’il a beaucoup fondu, mais la vue fantastique sur Ushuaïa, les montagnes et sur le canal de Beagle impressionne et mérite à elle seule le déplacement.
La journée suivante, nous avons opté pour une excursion
maritime sur le canal de Beagle. Ce détroit délimitant l’Isla Grande de Tierra del Fuego de plusieurs autres îles plus au sud dont Navarino mesure 240 km de long et sa largeur minimale est d’environ 1,5 km. Naviguer sur ces eaux gris-vert, sur fond de pics enneigés et d’îles rocheuses balayées par les vents forts reste un moment inoubliable où le sentiment de se trouver au bout du monde prédomine bel et bien.
Notre embarcation nous mène à l’île des cormorans royaux et impériaux, puis à l’île des lions de mer nous permettant
d’apprécier et d'observer la diversité de la faune locale. Nous passons ensuite devant l’île les éclaireurs où un phare tout droit sorti d’un roman de Jules Verne attire notre regard.
Notre mini croisière prend fin à l’estancia (une sorte de ranch) Harberton d’où un zodiaque nous transporte sur l’île Martillo. Seul 20 personnes sont autorisés à fouler ce petit bout de terre. Une petite marche dans un froid glacial nous permet d’approcher au plus près d’une colonie de manchots de Magellan se dorant au soleil sur la plage. A quelques dizaines de mètres de là, un
groupe de manchots Papous ainsi que deux manchots royaux scrutent l’horizon inlassablement. Un petit sentier nous conduit ensuite vers l’intérieur de l’île et passe devant une centaine de nids de nos volatiles du jour. Ces derniers vivent en couple et alterne la garde de leurs petits. Ils ne font que un ou deux oeufs par an et vivent entre 25 et 30 ans. En tout cas, c’est un vrai régal et un grand privilège que de faire partie de leurs hôtes ces quelques
instants dans ce cadre enchanteur.
Nous regagnons ensuite la grande île de la terre de feu à l’estancia Harberton. Cette vaste exploitation agricole d’une superficie de près de 20 000 ha est la plus ancienne de la terre de feu. Elle fût fondée en 1886 par le pasteur Thomas Bridges, le premier européen à s’établir de façon permanente dans cette partie du monde. Ce pionnier apprit la langue des yámana, le peuple nomade d’indiens vivants en terre de feu. D’ailleurs, une hypothèse de
l’origine du nom de cette région viendrait des premiers explorateurs en apercevant les feux des camps indiens qui vivaient nus même en hiver. Thomas Bridges devint un défenseur de ce peuple décimé par les maladies apportées d’europe ou par la chasse à l’homme mené par les autres éleveurs venus s’installer par la suite. Aujourd'hui, il ne reste en vie, malheureusement, plus qu’une seule descendante et locutrice des yámana, une vieille dame respectée née en 1928 nommée Cristina Calderón.
L’estancia Harberton est restée dans la même famille au fil des générations. Jusqu'en 1995, la ferme vivait essentiellement de l’élevage des moutons. Elle tire à présent ses revenus du tourisme. Point d’authenticité donc. Cependant, le cadre sublime au bord de l’eau dans une crique isolée et abritée des vents du canal de Beagle transmet une ambiance particulière cohérente avec le surnom d’Ushuaia, un sentiment de bout du monde. Un petit musée derrière l’estancia, non incontournable, expose des squelettes de
baleines, dauphins ou encore d’otaries.
Le retour vers la ville se fait par bus. La route ne démérite pas non plus. Elle traverse une magnifique forêt primaire, dans laquelle on retrouve principalement trois espèces de Nothofagus (le lenga, le coihue ou hêtre de Magellan, et le nire ou faux hêtre antarctique). Certains sont même surnommés arbres drapeaux
tant ils sont vrillés et déformés par les puissants vents d’ouest.
Ce fût vraiment une excursion rondement menée où les temps morts se font peu nombreux et la diversité des activités et visites s’avère intéressante. A recommander sans hésiter !
Cependant, au vu des tarifs élevés des sorties organisées, nous
avons décidé d’explorer le reste de la terre de feu par nos propres moyens en louant une voiture.
De nombreuses randonnées non loin d’Ushuaia permettent de profiter de splendides paysages.
Proche du centre, l’estancia Tunel peu touristique mais très prisée des argentins le week-end vaut réellement le coup d’oeil. Une piste accessible en voiture longe le canal de Beagle offrant
de magnifiques points de vue sur Ushuaia. Arrivés à un parking, on emprunte un sentier à pied qui chemine toujours le long de la côte déchiquetée. Une succession de paysages de toute beauté s’enchaînent jusqu'à l’arrivée aux abords de l’estancia semi-abandonnée. Le cadre nous a littéralement subjugué et renforce ce sentiment d’isolement et de bout du monde. Magnifique endroit à découvrir et non indiqué dans les guides touristiques !
Un peu plus loin, à 20 km de la ville, un sentier de randonnée ultra fréquenté mène à la laguna Esmeralda. Le chemin
commence par traverser une zone marécageuse, où la boue est au rendez-vous. On rentre ensuite dans une forêt de lengas. La bouillasse est toujours là. La vue finit par se dégager sur quelques sommets enneigés encerclant une profonde et magnifique vallée. On pensait avoir traversé le plus dur avec la boue, et bien non, rebelote et même de plus belle. On s’enfonce dans ce qui s’appelle une tourbière, une zone marécageuse où l’acidité du milieu, le manque d’oxygène et les températures basses empêchent la décomposition des matières organiques. Cela provoque une accumulation des plantes mortes qui en se comprimant forment la tourbe. C’est assez curieux à regarder,
mais patauger dedans n’est pas du tout agréable!
L’apparition du lac à la couleur émeraude due aux minéraux en suspension transportés par la fonte des glaces de la montagne est soudaine et assez spectaculaire. Cependant, les lacs turquoises de Nouvelle-Zélande restent de loin plus impressionnants.
Nous retournons ensuite à la première zone marécageuse car de nombreux castors y ont élu domicile. Ils sortent de leurs habitats en fin de journée vers 19 heures. Ces petits animaux craintifs et nocturne causent de lourds dégâts en terre de feu. Ils ont été importé en 1946 du Canada pour développer le commerce de la fourrure. De 25 couples à l’origine, ils sont passés à plus de 250 000 individus dans la région. Leurs barrages détournent les rivières, provoquent des inondations, déciment les forêts et les
écosystèmes autochtones. Mais comment ne pas craquer devant ces petites bouilles de rongeurs! Peu de randonneurs ont connaissance de leur présence ici car nous étions les seuls à s’être arrêtés pour les observer.
Notre dernière journée à Ushuaia, nous l’avons passée dans le parc national de la terre de feu, une des attractions principales de la ville. Cette aire naturelle protégée, la plus australe d’argentine s’étend sur une superficie de 63 000 ha. La faune
avec ses renards, ses guanacos (un genre de lama), ses castors, ses lapins, ou encore ses multitudes espèces d’oiseaux dont de majestueux aigles, ainsi que la flore très variée de ce parc sont d’une grande richesse. La diversité des paysages peut s'apprécier grâce à de nombreux chemins balisés.
Nous commençons notre visite par le bout du parc. La baie de Lapataia marque également la fin de la route nationale 3. Buenos Aires se trouve alors à 3242 km. De là, de très courtes
balades permettent d'observer le canal de Beagle, de traverser des marécages, d’approcher la laguna negra, un joli lac niché dans la forêt. La laguna verde affiche également de splendides couleurs vertes. Cependant, bien que jolis, les paysages n’ont pas le côté spectaculaire recherché.
Par contre, le sentier côtier d’une longueur de 8 kilomètres près de l’entrée du parc vaut vraiment le coup. Il longe la petite crique
Ensenada Zaratiegui bordée par une forêt composée de magnifiques Nothofagus avant de rejoindre la baie de Lapataia. C’est ici que vécurent les derniers indiens. On traverse une succession de petites criques et de plages de galets de couleur vert pâle avant de rentrer dans une forêt. De nombreux arbres développent de grosses protubérances. En fait, un parasite s’attaque aux végétaux, qui, par défense, produisent davantage de bois dans les zones infectées. C’est ce qui forme ces grosses boules. La deuxième moitié du sentier, dans la forêt, finit par être au final assez
répétitive. Cependant, la rencontre avec de beaux piverts peu sauvages qui s’évertuaient à picorer le tronc des arbres a égayé la fin du parcours.
Au final, on s’est bien régalé en terre de feu avec de beaux paysages. Une chose assez étrange, toutefois, c’est la luminosité. En effet, alors qu’à nos yeux elle semblait excellente, sur nos photos, elle se montre capricieuse. La majorité de nos clichés sont assez sombre et ne rendent pas ce que l’on a vu. Donc, pour réellement apprécier les magnifiques panoramas du
bout du monde, il faut s’y aventurer.
En tout cas, c’est avec un petit pincement au coeur que nous quittons Ushuaia, d’autant plus que l’hôte de notre bed and breakfast s’est montré particulièrement charmant lors de notre séjour. Nous reprenons donc l’avion vers El Calafate, une autre région au coeur de la Patagonie.