De retour sur Lao Cai ( la ville où le train au départ d’Hanoi nous avait laissés), nous avons pris un minibus vers la fameuse Sapa en négociant sévèrement sur le prix du trajet (on a réussi par chance à tomber sur le tarif exact). Le véhicule ne partait pas tant qu’il n’était pas plein. Voir les rabatteurs sévir dans la ville pour remplir chacun leurs engins motorisés se révélait être un spectacle hallucinant. Vis-à-vis des étrangers, ils se montraient corrects dans leur façon de négocier. Mais, en ce qui concerne les locaux, le ton était complètement différent. Dès qu’un client vietnamien potentiel faisait apparition, les rabatteurs des différents minibus sortaient leurs crocs: quand l'un tirait la pauvre proie par le bras, l'autre  lui arrachait le sac pour le mettre dans son véhicule… De vrais requins. Je n’avais jamais rien vu de tel. De plus , à mi-parcours, un incident éclata: un vietnamien n’a pas donné la somme escomptée (nous sommes encaissés au cours du trajet dans les transports en commun). Du coup, le chauffeur s’est arrêté sur la bas coté. Le ton est monté. Après cinq bonnes minutes de négociations sans succès qui semblaient interminables, le jeune employé du van a attrapé le col du client cinquantenaire et s’évertuait à le faire sortir en tirant comme il pouvait, tandis que le passager résistait de toutes ses forces. On se demandait comment ils ont réussi à ne pas se mettre des coups. Dans bien d’autres pays, une bagarre aurait été déclenchée inéluctablement.
 
Après que notre cinquantenaire ait eu gain de cause, nous sommes enfin arrivés sur la petite ville montagnarde nommée Sapa. Juchée à 1650 mètres d’altitude, elle surplombe une vallée jalonnée de rizières en terrasses. De nombreux Hmong déambulent dans les ruelles afin de vendre aux étrangers divers objets artisanaux. Mais rapidement, le charme qui s’était emparé de nous s’est évaporé. Fondée par les Français en 1922, son style européen nous faisait oublier que nous nous trouvions au Vietnam. De plus, vivant de l’essor du tourisme, tout semblait devenir factice, artificiel. A la recherche d’authenticité, nous nous somme décidés à traverser le nord-ouest vietnamien, des terres souvent inexplorées par les voyageurs.

Ce fut le commencement de la galère! Des paysages à couper le souffle malgré le temps pluvieux laissèrent place à la ville fantôme de Muong Lay, notre première étape convoitée. Vantée par les guides comme une sympathique petite ville nichée dans une jolie vallée creusée par le fleuve noir au milieu de montagnes vertigineuses, cette bourgade en pleine démolition hors des sentiers battus se révéla être d’une déception extrême. En effet, un immense barrage en construction inondera la vallée prochainement. Du coup, la moitié de la ville a été détruite. Mais, il est amusant de constater qu’aucun matériel n’est gâché et tout est récupéré : des tuiles aux briques des maisons. Un véritable travail de fourmis! Cet immense chantier en plein air attriste complètement le décor naturel. Le même sort est réservé au seul hôtel du coin. Les charmants bungalows en bois sur pilotis décrits sur le lonely planet ont tous été démontés et stockés dans le but d’être reconstruits ailleurs. Il ne restait plus que quatre ou cinq chambres dans une vieille bâtisse délabrée. De plus, aucun guide n’était disponible pour nous faire visiter les villages des minorités ethniques des alentours. Même la balade sur le fleuve noir ne pouvait se faire faute au faible niveau de l’eau. Le seul point positif de cette escapade à Muong Lay fut les moments passés avec les hommes qui travaillaient dans l’auberge. Les quelques mots échangés et les quelques verres d’alcool de riz consommés ensemble enthousiasmèrent la soirée. Le lendemain matin, nous avons poursuivi notre chemin vers l’ouest. Par chance, nous avons réussi à arrêter un bus déjà bondé sur la route.

Le trajet entre Sapa et Dien Bien Phu via Muong Lay figure comme une véritable aventure riche en émotions fortes. Une traversée difficilement descriptible! Pour résumer, nous avons parcouru environ 250 kilomètres en 12 heures, soit une vitesse moyenne de 20 kilomètres par heure. La route particulièrement sinueuse dans un état plus que mauvais est venue à bout du bus emprunté qui a été forcé de s’arrêter à plusieurs reprises: nous devions attendre soit qu’une pelle-rétro dégage le chemin d’un éboulement de pierres, soit qu’un camion nous tracte dans le but de nous désembourber. Additionnez le tout d’un confort plus que spartiate, de normes de sécurité réellement douteuses, d’une chaleur étouffante, de passagers dépassant le nombre de places assises (une quarantaine de voyageurs pour un bus de vingt-quatre sièges), de personnes vomissant le long du trajet et d’une intoxication alimentaire pour ma part, ce voyage restera gravé dans les mémoires.

Le principal, dans l’histoire, est que nous sommes arrivés à Dien Bien Phu, la dernière étape de notre voyage, sains et saufs.